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le blokkidéblok

Mon big bang eut lieu le 15 mai 1944 à Ixelles (Bruxelles), comme en témoigne ce parchemin retrouvé au fin fond d'un grenier...

 

Un grenier, c'est - comment dire?... - une sorte d'île au trésor, un territoire incertain, imprégné d'odeurs indéfinissables un peu bizarres, le lieu inquiétant du mystère, de l'obscur, du non-dit, une inextricable contrée faite de matières et de formes vagues, truffée de toiles d'araignée mises là pour capter tous ces cris silencieux venus d'on ne sait où, issus d'on ne sait quoi, émis par on ne sait qui. Bref, le refuge planant des âmes ancestrales et grognantes...

Grognantes, grogner, grenier... Vu?... Ben, j'explique ça pour les gens des villes évidemment...

A remarquer: sur le document, ma première dédicace, muette et dont il serait mesquin d'en vouloir contester l'authenticité.


Solide école gardienne à Uccle (Bruxelles).  Avec langes. Au pluriel, bien sûr, la générosité étant une vertu naturelle de l'enfance.

 

Spécialisation à Flavion (village d'Entre-Sambre-et-Meuse). Sans langes, cette fois. Autant dire, sans filet. Comme dans les meilleurs cirques.

 

Ecole primaire à Corenne, un village voisin, où je me rends chaque jour à vélo pour me tailler des cuisses autres que de grenouilles...


Enfant, je souhaitais déjà "faire cinéma" plus tard. Toutefois, à défaut, je n'aurais pas dédaigné non plus  "faire paratonnerre", ou "tire-bouchon", par exemple, deux occupations qui, dès ma période préhistorique, m'étaient apparues, l'une aventureuse, l'autre mystique.

En attendant la venue du grand choix - mais était-il nécessaire de choisir ? -, et pour passer le temps, je me suis mis alors à arpenter tous les sous-sols possibles et imaginables. A croire que j'avais été lapin ou taupe ou ver dans une vie antérieure...

Ver ? Taupe ?...  A bien y réfléchir, ma préférence irait plutôt au lapin...


Trou des Nutons (Flavion).  Première expérience souterraine. 

Galeries d'acheminement

d'eau potable. Flavion.


Trou de l'Eglise. Mont Godinne.

Humanités gréco-latines (assez peu) brillantes au Collège Notre-Dame de Bellevue de Dinant. Souvenirs agréables plutôt rares de cette période terne et dictatoriale. Heureusement, il y a la vie à côté, et celle-là est infiniment plus riche et valorisante.

  A 13 ans, je découvre, par hasard, dans une librairie de gare, "L'étranger" et "La peste" d'Albert Camus,  ainsi que le "Moïra" de Julien Green. Premiers éblouissements, véritables révélations qui débordent le monde étriqué savamment et sataniquement entretenu par l'époque.

  Oh!  Une anecdote à propos de cette découverte de "Moïra"...

Je viens à peine de terminer la lecture de ce livre que  me tombe dessus, comme devoir, une rédaction sur le thème de l'automne. Une page de Moïra me semble correspondre parfaitement au sujet proposé. Autant dire que, saisissant l'aubaine, je m'empresse de recopier, pratiquement mot pour mot, le texte en question, éliminant bien entendu deux ou trois détails qui ont  trait à l'intrigue. Quasi certain d'obtenir, avec ce travail "conséquent", le tout gros lot, la note magistrale du siècle et les félicitations du jury, je me vois tout au plus attribuer un maigrichon... 7 sur 10. Autant dire que le résultat me déçoit profondément, au point de m'en révolter encore aujourd'hui !  7 sur 10 pour Julien Green, bon, là, d'accord ! Mais pour le petit jeune que je suis...

    Mais, promis, juré, c'est en ce sens-là que j'élaborerai mes futurs films...


Entendons-nous bien: je ne souhaite ni adapter, ni plagier qui que ce soit; je viens seulement de prendre conscience que la création d'une atmosphère est bien plus importante que l'invention d'une histoire.

La découverte des films de Bergman, et notamment Le septième sceau et Les fraises sauvages, trois ans plus tard (eh oui, ses films sont, à l'époque, interdits au moins de 16 ans...) confortera tardivement ce sentiment.

Ainsi que les livres de Kafka, Boris Vian, Kazantzakis...

La découverte éblouissante d'un film de Fellini  en 1964 - Huit et demi - scellera en moi cette idée de primauté de l'ambiance sur l'histoire, et cela, j'en suis toujours intimement convaincu aujourd'hui, m'apparaît valable en toute création artistique... L'atmosphère, en ce cas, devient la substance essentielle, l'histoire n'étant finalement qu'élément anecdotique qui ne trouve sa nécessité qu'en tant que support...

Un dieu, véritablement, que ce Fellini... Qui me poussera à explorer, nombre d'années plus tard, les studios romains de Cinecitta, à la recherche de son ombre, de son fantôme... L'occasion de le rencontrer en chair et en os me sera offerte, peu de temps après, mais je la refuserai, éh oui, craignant trop que la rencontre ne se passe pas aussi bien qu'espéré...

 


Etudes de cinéma à l'Institut des Arts de Diffusion de Bruxelles.

  L'I.A.D. (Institut des Arts de Diffusion) est la première école de cinéma, digne de ce nom, fondée en Belgique en 1959. Sa création précèdera de peu celle de l'I.N.S.A.S. (Institut National Supérieur des Arts du Spectacle).

Je garde de nombreux et généralement bons souvenirs de cette Ecole de cinéma : outre la qualité exceptionnelle d'un grand nombre de professeurs, elle me permet des rencontres importantes, avec des comédiens de grand format comme Danielle Darieux, Julien Bertheau ou encore Pierre Brasseur, avec des cinéastes tels que Jean-Pierre  Melville (qui se considère  comme  le découvreur de la Nouvelle Vague...) ou encore Claude Lelouch... Un Lelouch beaucoup moins commercial à l'époque !...


© Jacques Lambert

© Jacques Lambert


Après avoir donné une journée de cours intensifs, Claude Lelouch offre encore, au départ du studio de l'I.A.D., un véritable show à la R.T.B. (Radio Télévision Belge). Les téléspectateurs belges reconnaîtront, derrière lui, le regretté Selim Sasson dont "Le carrousel aux images" est encore dans beaucoup de mémoires... © Jacques Lambert

 

  Quelques rendez-vous ou rencontres parallèles sont encore à noter : avec Jean Eustache (La maman et la putain, Le Père Noël a les yeux bleus...) et Marcel Hanoun (Le printemps, L'hiver...); ce dernier erre dans les rues de Bruxelles comme une âme en peine et, pour cela, on s'empresse de l'inviter à loger...

  Mais l'I.A.D. me permet surtout de côtoyer, de manière permanente, le gratin belge des  hommes de spectacle: Henri Storck et Frédéric Geilfus, cinéastes, José Jolet, Claude Etienne, Ralph Darbo, Gérard Vivane, Pierre Laroche, comédiens, André Hagon, directeur du service "Reportages" de la télévision belge, Georges Sion, prestigieux homme de lettre et de théâtre... Je crains, hélas, de passer sous silence coupable pas mal de monde...

  Sans oublier tout ce petit peuple en devenir : les futurs comédiens et comédiennes de théâtre et de talent, tels que André Burton, Françoise Bette, Jean-Claude Frison, Martine Willequet, Christian Maillet...    ainsi que ces réalisateurs qui, depuis, ont fait leur petit bonhomme de chemin : Mohammed Ben Salah (en Algérie), Philippe Grand (réalisateur et scénariste à la Télévision Suisse Romande), Benoit Lamy, Marion Hansel...


Mais il me faut encore citer José Sacré, devenu animateur à Radio Télé Monte-Carlo...

Cette fois-là, j'avais répondu à son invitation et m'étais organisé un périple, en Vespa, qui devait aboutir dans cette ville.  Un voyage qui devait me laisser plein de souvenirs impérissables...


 

J'étais en approche d'Yverdon (Suisse) et la nuit tombait quand, en pleine montagne, je fus pris dans une véritable trombe d'eau et un orage violent. Et en Vespa... Je m'étais vite retrouvé dans un état pitoyable. Du secours m'était nécessaire et la première maison rencontrée serait la bienvenue...

C'était une ferme. Une ferme qui devait se révéler accueillante au-delà de toute espérance... "Pas question pour vous de reprendre, en Vespa, les routes suisses à la veille d'un 15 août ! Ce serait suicidaire !"... J'étais invité à patienter ici en attendant la fin du long week end meurtrier. Et déjà, c'est comme si je faisais partie de la famille !...

Et c'est ainsi qu'eut lieu une visite particulièrement inattendue et mémorable...

 

Mon hôte avait pris très vite rendez-vous, pour moi, mais à mon insu bien sûr, avec une "personnalité immense, de réputation mondiale" assurait-il, dont il refusait toutefois de me révéler le nom... Je l'avoue, j'étais particulièrement inquiet : imaginons un seul instant que je ne (re)connaisse pas "sa" célébrité mondiale, de quoi aurais-je l'air ?...

Il avait tenu à m'emmener lui-même sur le lieu de rendez-vous fixé à Vevey, avait sonné au porche d'une maison cossue, avait attendu dix secondes encore,  puis s'était enfui littéralement, me laissant là seul et pantois, non sans me rappeler, en haussant la voix, qu'il viendrait me reprendre deux  heures plus tard. Ainsi en avait-il été convenu avec les gens de la maison...

 

Et voilà comment je m'étais retrouvé au coeur même du domaine des Chaplin. Sans l'avoir jamais cherché. Sans comprendre vraiment ce qu'il m'arrivait...

Et c'est ainsi qu'une dame,  se présentant  comme  Oona Chaplin, vint donc  m'accueillir, tout sourire. Tentant aussitôt  de me mettre à l'aise (sans doute avait-elle dû remarquer mon grand trouble, voire mon état de quasi-panique !), elle me fit servir aussitôt le café, m'offrit quelques gâteaux et... un cigare si gigantesque que je ne pus l'accepter par crainte de paraître complètement ridicule...  (Ce que je regrette aujourd'hui; c'est sûr, il trônerait bien en place, chez moi,  au salon.)

Elle excusa d'emblée l'absence de son mari, retenu à Londres pour affaires... Pas de chance pour moi !...   

"Dommage! me dit-elle. Car vous n'imaginez pas le plaisir qu'il éprouve à discuter avec des étudiants issus d'Ecoles de Cinéma !...". Alors, on se contenta de parler de tout, de rien, de mes études, de cinéma mais surtout et  forcément... de son Charlot de mari ! Une bonne heure sans doute...

Ensuite, Madame Chaplin m'invita à faire, librement, le tour du propriétaire. Elle me rappela que chez elle, c'était aussi chez moi et que, bien entendu, je pouvais prendre tout mon temps, faire l'une ou l'autre photos de la propriété et du parc. La seule restriction qu'elle m'imposa : celle de ne pas photographier les enfants qui jouaient dans la piscine...

Et effectivement, ils étaient nombreux, ces enfants, et bruyants... Une petite fille crachotait ses poumons: elle venait de prendre la tasse... Respectueux de cette limite qui m'était imposée, je n'ai donc fait aucune photo des enfants Chaplin. Aujourd'hui, je le regrette un peu...

Quand vint le moment des adieux, Madame Oona Chaplin m'offrit encore une photo dédicacée de son mari... regrettant une fois de plus son absence.

José Sacré .


Dans les studios de Radio Télé Monte-Carlo, ma présence  devient vite coutumière. Accompagnant José Sacré, je connais tout le monde et tout le monde finit par me connaître.  Je fais très vite partie des meubles.

Et c'est ainsi que, durant une dizaine de jours, je suis amené à m'occuper (de manière non officielle d'ailleurs) des vedettes qui passent en direct dans les émissions d'après-midi.  Il convient de les faire patienter car ils vont prester en direct. Et certains ont le trac...  Alors on bavarde, de tout, de rien. Question surtout de faire un peu oublier qu'on sera sur antenne d'ici quelques dizaines de minute...


 Il fait une chaleur étouffante, de violents orages éclatent régulièrement sur Monaco. Et l'on ne sait jamais, une heure à l'avance, si les "directs" de l'après-midi auront lieu sur la jetée du port de plaisance ou, plus simplement, en studio. Dans cette double effervescence forcée, il semblerait  toutefois qu'on apprécie l'aide que j'apporte à la prise en charge des vedettes de l'émission... pour les faire patienter !

   Et c'est ainsi que j'ai l'occasion de bavarder de très longs moments avec Johnny Halliday, Antoine, Mouloudji, Jean-Jacques Debout, Dick Rivers et bien d'autres...

Sans oublier Albert Raisner (mais lui, fait en réalité partie des animateurs de la maison).

  Avec leur autorisation, je me permets de prendre quelques clichés. Aucun ne rechigne. Bien au contraire. Et l'ambiance, quoique tendue (direct  oblige), serait plutôt du genre sympa...

© Jacques Lambert

Johnny Halliday

© Jacques Lambert

Johnny Halliday 

© Jacques Lambert

© Jacques Lambert

© Jacques Lambert

Antoine.

© Jacques Lambert


© Jacques Lambert 

© Jacques Lambert

Antoine. 

Dick Rivers. 

© Jacques Lambert 

 Albert Raisner 

© Jacques Lambert 


L'heure du service militaire a sonné...

Finalement, ce sera l'armée qui réalisera mes premiers rêves : "faire cinéma" deux heures par jour...  mais à l'autre bout de la chaîne !

...et "faire paratonnerre" six heures par jour pour tuer le temps.

  Heureusement, pour rompre la monotonie du train-train quotidien, on me confie quelque mission de choix.

Exemple : me faire décorer publiquement comme tireur d'élite en lieu et place du génial tirailleur dont on a brusquement perdu la trace... (sans doute est-il en vacances... à moins qu'il ne soit déserteur...).  Et devant tout le bataillon !... Moi qui, fusil en main, suis plus dangereux derrière que devant... Moi qui suis à peine capable de marcher au pas... Mais un peloton m'encadre et je n'ai qu'à suivre ces hommes et les imiter... avec, évidemment, toujours un pas de retard... c'est drôle...

  Non, complètement ridicule...

 

  Un jour pourtant, on me confie la tâche, autrement plus importante, de m'occuper de Raymond Devos dont les exigences de scène et les facéties terrorisent littéralement le Q. G. de la 17ème Brigade Blindée... (Il refuse de jouer si et si et si...) Et ce sera dans ces conditions que je ferai la connaissance de l'homme de scène le plus charmant du monde... 

Enfin, une bouffée d'humanité ! Enfin, un peu de baume au coeur...


 Mais ce ne sera que bien plus tard que je pourrai "faire tire-bouchon" et même "écrit-vin".